Une modification qui passe mal
Le 15 juillet 2025, les nouvelles conditions d’utilisation de Wetransfer ont provoqué une onde de choc. L’entreprise a intégré à ses CGU une clause autorisant l’exploitation des fichiers transmis par ses utilisateurs pour entraîner ses modèles d’intelligence artificielle. Cette licence, annoncée comme « perpétuelle, mondiale, gratuite, transférable et sous-licenciable », concernait tous types de contenus : photos, vidéos, documents professionnels ou créations artistiques.
La plateforme expliquait vouloir améliorer son système de détection des contenus illicites. Toutefois, cette justification n’a pas suffi à calmer les critiques. Graphistes, photographes, vidéastes et autres utilisateurs réguliers ont dénoncé ce qu’ils considèrent comme une atteinte à la vie privée et à la propriété intellectuelle.
Un retour en arrière partiel
Face à la polémique sur les réseaux sociaux et les nombreuses réactions hostiles, Wetransfer a modifié sa communication quelques heures plus tard. L’entreprise a assuré que les fichiers envoyés ne seraient pas utilisés pour entraîner une IA générative, mais seulement dans des cas limités liés à la sécurité du service.
Cependant, cette clarification n’a pas totalement apaisé les craintes. La mention d’« amélioration des technologies » figure toujours dans les CGU, sans précision sur la nature exacte des traitements réalisés. Pour nombre d’utilisateurs, la confiance est rompue.
Un contexte technologique tendu
Cette affaire illustre une tendance croissante dans l’univers du numérique : les plateformes cherchent à collecter toujours plus de données pour alimenter leurs systèmes automatisés. Face à la rareté des données publiques disponibles, certaines entreprises exploitent les contenus privés générés par leurs utilisateurs.
Cela pose la question du consentement : peut-on considérer qu’un simple envoi de fichier vaut acceptation d’un usage aussi étendu ? Et surtout, les utilisateurs sont-ils informés de façon suffisamment claire sur ce que deviennent leurs fichiers ?
Des alternatives plus transparentes
La controverse autour de Wetransfer a mis en lumière des solutions concurrentes qui mettent en avant leur politique de confidentialité plus stricte. Parmi elles, Proton Drive défend un chiffrement dit zero-knowledge, qui empêche même l’opérateur d’accéder aux fichiers hébergés. La société, basée en Suisse, affirme qu’elle ne recourt à aucune forme d’intelligence artificielle sur les données des utilisateurs.
Autre acteur suisse, SwissTransfer, propose un service gratuit jusqu’à 50 Go avec effacement automatique des données après un certain délai. L’entreprise garantit ne faire aucun usage des fichiers à des fins commerciales ou d’entraînement algorithmique.
De son côté, MEGA, plateforme basée en Nouvelle-Zélande, propose un service de partage chiffré et a clairement affiché sa position contre l’utilisation des fichiers utilisateurs pour le machine learning.
Des plateformes françaises aussi sur le front
Plusieurs services européens ont aussi saisi l’occasion pour rappeler leur engagement. Smash, Ziplo et Norishare insistent sur le respect des données, leur hébergement local et l’absence d’usage lié à l’intelligence artificielle. Ziplo, basé en France, souligne même son attachement à la propriété intellectuelle et au respect des créations des utilisateurs.
Des offres aux fonctionnalités variées
Au-delà de la question de la confidentialité, ces plateformes proposent des services différenciés. TransferNow, par exemple, autorise jusqu’à 5 Go par transfert dans sa version gratuite, avec des options de protection par mot de passe. Grosfichiers, service franco-suisse, permet des envois allant jusqu’à 10 Go et offre une durée d’hébergement étendue, sans limite de vitesse.
Tresorit Send, orienté vers les entreprises, mise sur un chiffrement de bout en bout pour les transferts, tandis que Internxt Send explore déjà les protections post-quantiques, anticipant les risques liés à l’arrivée de l’informatique quantique.
Des pratiques qui interrogent
L’affaire Wetransfer soulève un enjeu plus large : celui de la collecte de données dans un environnement numérique dominé par des outils automatisés. Si les CGU donnent un cadre juridique, elles sont souvent formulées dans un langage complexe, rendant difficile pour les utilisateurs une compréhension fine des implications.
La clause 6.3 de Wetransfer, qui évoque une licence ouverte sur tous les contenus transférés, a mis en lumière la nécessité d’une transparence accrue. Certains experts estiment qu’un consentement explicite et actif devrait être requis pour tout usage de données à des fins d’entraînement algorithmique.
Vers un changement de comportement des utilisateurs ?
Face à ces révélations, de nombreux internautes envisagent de changer de plateforme ou de crypter eux-mêmes leurs fichiers avant de les transférer. Des solutions simples, comme l’usage de fichiers ZIP protégés par mot de passe, sont évoquées pour renforcer la sécurité personnelle. D’autres préfèrent désormais n’utiliser que des services à chiffrement automatique.
La méfiance gagne du terrain, et les services qui veulent conserver leur base d’utilisateurs devront redoubler d’efforts pour rassurer. La communication autour de la vie privée devient un critère aussi important que la performance ou l’ergonomie du service.
Un secteur en mutation
Le marché du transfert de fichiers, longtemps dominé par quelques grands acteurs, est aujourd’hui bousculé par la montée des préoccupations liées à la protection des données. La demande évolue : les utilisateurs ne cherchent plus seulement de la rapidité ou de la capacité de stockage, mais aussi des garanties sur l’intégrité de leurs contenus.
Les entreprises qui sauront répondre à ces attentes, avec des politiques claires et des technologies robustes, pourraient bien tirer leur épingle du jeu. L’affaire Wetransfer, en révélant les limites d’un modèle opaque, pourrait ainsi accélérer l’émergence d’un écosystème numérique plus responsable.
Une vigilance indispensable
À l’heure où l’intelligence artificielle progresse rapidement, la gestion des données personnelles devient une priorité. Le cas de Wetransfer démontre qu’aucun service n’est à l’abri de critiques lorsqu’il s’agit de l’usage de contenus privés. Pour les utilisateurs, la prudence est de mise : lire les CGU, vérifier l’emplacement des serveurs, privilégier le chiffrement, et s’informer sur les engagements des services devient indispensable.
