Depuis début septembre, la Martinique connaît un mouvement croissant de protestation contre la flambée des prix, un phénomène qui gagne en intensité et perturbe la vie quotidienne des habitants. Ce mouvement, qui a commencé pacifiquement, est marqué par des revendications visant à réduire l’écart de prix entre la Martinique et la métropole, notamment en ce qui concerne les produits alimentaires. Les manifestations, bien que pacifiques au départ, ont rapidement dégénéré en actes de violences nocturnes, comme en témoignent les incidents survenus dans la nuit du 17 au 18 septembre à Fort-de-France, où des voitures ont été incendiées et des barricades érigées.
Les protestataires, rassemblés sous la bannière de l’association Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro-Caribéennes (RPPRAC), ont bloqué plusieurs hypermarchés en guise de pression sur les grandes surfaces, accusées de maintenir des prix bien plus élevés que ceux de l’Hexagone. Selon l’Insee, une étude récente montre que les prix alimentaires en Martinique sont en moyenne 40 % plus élevés qu’en métropole, une situation difficilement supportable pour les foyers les plus modestes. Ce décalage, accentué par la complexité du système de distribution et les taxes locales, nourrit un sentiment d’injustice chez de nombreux habitants.
Des voix s’élèvent, comme celle d’Arlette, une mère de famille, qui témoigne de ses difficultés à subvenir aux besoins de ses enfants. Elle confie se priver pour qu’eux puissent manger. De son côté, Alain-Pierre, retraité, exprime son angoisse face à la précarité de sa situation, tandis que Gaël, père de cinq enfants, explique qu’il peine à offrir des activités extrascolaires à ses enfants, malgré son emploi temporaire. Ces récits illustrent un malaise social profond et généralisé.
Les manifestants réclament notamment un alignement des prix avec ceux de la métropole, une revendication jugée « irréaliste » par les acteurs économiques locaux. Philippe Jock, président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Martinique, a qualifié cette demande de « fantasme », soulignant les différences structurelles entre les deux régions, notamment en termes de logistique et de fiscalité. Cependant, les Martiniquais, en particulier les plus vulnérables, continuent de ressentir durement les effets de la vie chère.
Émeutes Nocturnes et Stratégie de Contestation
Si la contestation contre la vie chère a débuté pacifiquement, les événements récents montrent un tournant vers des actions plus violentes. Depuis plusieurs nuits, Fort-de-France est secouée par des émeutes, des pillages et des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Le 17 septembre, des incidents majeurs ont éclaté avec l’incendie d’un restaurant McDonald’s et le pillage d’un supermarché. Dans le quartier populaire de Sainte-Thérèse, les tensions sont particulièrement vives, avec des tirs visant les policiers et l’installation de barrages routiers.
Le préfet de Martinique a condamné ces actes de violence, les qualifiant de « stratégie du chaos ». Il déplore que les habitants de ces quartiers, déjà durement touchés par la crise économique, soient les premières victimes de ces dégradations. Selon lui, ces violences, perpétrées par de petits groupes, détournent l’attention des revendications légitimes portées par une majorité de manifestants pacifiques. Des émeutiers ont, par exemple, mis le feu à un véhicule avant de le pousser sur la voie publique, bloquant ainsi la circulation.
Le mouvement de contestation, bien que non syndiqué, trouve son origine sur les réseaux sociaux, rappelant la grève générale de 2009 qui avait paralysé la Martinique et la Guadeloupe. Ce précédent historique avait déjà mis en lumière la « pwofitasyon » (terme créole désignant les profits excessifs) dénoncée par les Martiniquais. Quinze ans plus tard, malgré certaines avancées, le fossé entre les prix locaux et ceux pratiqués en métropole reste béant, alimentant frustrations et colères.
Face à cette situation, le gouvernement et les acteurs économiques tentent de désamorcer la crise en proposant des mesures d’urgence. L’État, les distributeurs et les collectivités locales se sont engagés à réduire les prix de 2 500 produits de première nécessité de 20 % en moyenne. La Collectivité territoriale de Martinique a également annoncé qu’elle envisageait de renoncer à une partie de ses recettes en supprimant certaines taxes, notamment l’octroi de mer sur plusieurs produits importés. Cependant, ces mesures ne semblent pas apaiser totalement les tensions.
Les négociations avec les représentants du mouvement RPPRAC sont également compliquées. Ces derniers exigent que les discussions soient transparentes et diffusées en direct sur les réseaux sociaux, ce que l’État a refusé. Les leaders du RPPRAC ont quitté plusieurs réunions en signe de protestation, estimant que la confidentialité des échanges allait à l’encontre de leurs principes de transparence. Cette posture radicale du mouvement ne facilite pas la recherche d’une solution consensuelle.
En dépit de ces tensions, les autorités martiniquaises restent déterminées à rétablir l’ordre. Des forces de sécurité supplémentaires ont été déployées pour faire face aux violences, tandis que des négociations sont en cours pour tenter de trouver un compromis qui permettrait d’apaiser la situation. Toutefois, la profonde fracture sociale qui traverse la Martinique ne semble pas près de se refermer, tant que les causes structurelles de cette crise, telles que les inégalités économiques et la vie chère, ne seront pas traitées en profondeur.
La situation en Martinique illustre les difficultés auxquelles sont confrontées de nombreuses régions ultramarines françaises, où le coût de la vie, alimenté par une logistique complexe et des taxes spécifiques, reste un enjeu majeur. Cette contestation s’inscrit ainsi dans un cadre plus large de revendications sociales, économiques et politiques qui, sans être propre à la Martinique, trouve ici une résonance particulière.